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Mon rocher merveilleux

Mon rocher merveilleux

J'ai souhaité que ce blog soit accessible, pédagogique, informatif, à but non-lucratif, sans publicité et toujours bienveillant. Je rédige tous mes articles à partir de mon vécu et de mes expériences personnelles, mais aussi de mes rencontres et de mes aventures professionnelles. Je vous souhaite la bienvenue et bonne lecture. Lionelle Giraud


Autisme et socialisation

Publié par Lionelle Giraud sur 13 Octobre 2021, 12:26pm

Catégories : #Autisme, #Chemin, #Mon chien n'est pas autiste, #Socialisation, #La sauvageonne, #Changer les mots, #Le temps de rien, #Tous ensemble, #Témoignage

Il m'arrive d'en avoir assez d'entendre parler d'autisme en terme de déficits, d'incapacités et de difficultés. Certes, nous rencontrons quelques soucis dans notre quotidien. Si peu ! Cependant, nos vies ne se résument pas à quelques mots particulièrement négatifs et péjoratifs. D'ailleurs, quel paradoxe ! Nous serions dotés de qualités intellectuelles et morales que certains nous envient, et, en même temps, nous sommes montrés du doigt. Beaucoup veulent nous transformer, nous soigner, nous guérir. L'idée de base, ou les principes mis en avant, sont que nous serions "à socialiser". Le mot est lâché : socialisation *(1). Nous pouvons aussi rajouter à ce terme son petit frère : sociabilisation *(2). Autrement dit, il faudrait nous rendre sociaux et sociables. 

Je ne m'explique toujours pas cette nécessité à vouloir transformer certaines personnes pour devenir tous pareils, avec en perspective l'accès au bonheur et à la liberté.  Je comprends encore moins ces notions, ces théories et concepts qui nous décrivent comme des êtres à part, minoritaires, étranges et à améliorer voire à dénaturer. Ceci sans tenir compte des possibilités des uns et des autres, de notre désir de changer ou pas, de nos contextes de vies, de nos âges, de nos personnalités, de nos besoins, et surtout de nos avis. Faut-il, de  nouveau, rappeler qu'avant d'être des personnes autistes, nous sommes des êtres humains.

Le bureau des pleurs...

C'est une bonne chose d' avoir un endroit où pouvoir se lamenter, s'exprimer, dire ses douleurs ou pleurer. D'ailleurs, ce n'est pas obligatoirement dans un bureau. Il est important et légitime de pouvoir compter sur une personne qui aura la capacité d'écouter, de nous entendre sans nous juger. Ceci dit, parfois, il faut vraiment bien chercher pour trouver. Là est le fameux paradoxe de la socialisation et de la sociabilisation dans une société qui se déshumanise, et, dans laquelle les peurs et les angoisses prennent le pas sur le vivre ensemble, le parler ensemble, l'être ensemble. D'ailleurs, avons-nous encore le temps et le droit de nous plaindre et un endroit où pleurer ? Hier, j'aurais aimé trouver ce lieu sur mon chemin.

La bonne éducation

J'étais partie en balade avec mon chien. Nous marchions dans Mes chemins pour nous rendre à Ma rivière. Je me  suis appropriée ce parcours depuis des années. Rien ne doit changer. Hors de question de choisir un autre trajet ou de bouleverser mes habitudes. Je confesse une légère difficulté face aux imprévus et aux changements. Tout est ritualisé, pensé, visualisé, presque déjà vécu. Rien ne doit être modifié ni venir contrarier mon organisation. J'exagère un peu ? Pas tant que çà. Je supporte mieux un tronc d'arbre tombé au milieu du chemin que d'y croiser un être humain. Nulle n'est parfaite ! 

Relativement détendue, je marche. Il fait beau, presque chaud. Mais, j'ai oublié un petit détail, nous sommes dimanche. J'aperçois deux personnes tout droit devant. Elles arrivent dans le sens inverse. Nous allons forcément nous croiser. Et là, c'est le drame dans ma tête et Hiroshima dans mon corps ! L'idée de faire demi tour ne me vient même pas à l'esprit. Ma première pensée est : il va falloir socialiser, et, me montrer "normative" et socialement adaptée. Horreur, malheur, me voici à hauteur des personnes. "Bonjoooour ! Mon chien ne vous a pas dérangé ? Ne vous inquiétez pas, il est gentil".  Mais quelle gourde je suis ! J'ai de moi-même mise en place l'erreur à ne pas commettre : engager la conversation. Celle qui va m'obliger à blablater sur la pluie et le beau temps, la gentillesse de mon chien, la beauté de l'environnement etc.

Évidemment, tout se passe comme prévu dans ces moments-là et une phrase en entraîne une autre. Non seulement, j'ai ouvert la porte de la relation et de la communication, mais en plus j'ai ralenti mon pas. Je suis prise dans le piège des bonnes manières. Et, c'est parti. Une des deux personnes, très souriante mais intrusive, me demande "Vous êtes du coin ? Il me semble vous connaître". Mince alors ! L'imprévue pas prévue a ferré le poisson et va m'obliger à discuter. Et le "socialement correct" me met dans la position de l'interaction sociale intensive. Je n'ai plus le choix. D'autant plus que cette dame me pose des tas de questions les unes à la suite des autres. Elle cherche à savoir qui je suis, d'où je viens. Il pleut des interrogations, un fort désir de communication de sa part  et une attitude corporelle qui ne m'encourage pas à passer mon chemin.

Conversation neurotypienne...

Dans ces moments-là, je suis en tension extrême. Toute mon attention est dirigée vers cette fâcheuse amabilité qu'il faut entretenir lors d'interactions sociales. Tout se brouille. Tout va trop vite. Je dois restée concentrée sur mon attitude et paraître comme tout le monde. Je dois lui démontrer que je suis heureuse de notre rencontre. Pour une personne neurotypique, cet échange est facilement gérable. Suivant son humeur, sa disponibilité du moment, son caractère, ses habitudes, elle passera sa route ou fera le choix de s'arrêter pour échanger quelques mots. Pour moi, neuroatypique, il en est tout autre. Il n'est pas naturel de discuter alors que ce n'était pas prévu dans mon planning mental. Ce n'est pas le moment, ce n'est pas le lieu et ce n'est pas spontané pour moi de changer mes plans. Je suis ici pour marcher, seule avec mon chien, dans Mes chemins pour me rendre à Ma rivière ! Comment çà, ce sont des chemins communaux ? Oui, j'avoue. Mais d'habitude, je ne croise personne. Et suivant mon plan d'action, je devais pouvoir assouvir mon besoin de solitude tranquillement.

Je n'aime pas les questions !

Dans mon plan A sans plan B, je dois vivre les évènement prévus et anticipés sans avoir à dépenser une énergie folle dans un échange verbal que je ne souhaite pas. Et v'lan passe-moi l'éponge... C'est tout à fait naturellement que je dis à cette personne :  "Je suis une sauvageonne" ! À ce moment-là, je lis sur son visage qu'elle est interpellée par mon message qui n'a rien de subliminal. Je peux comprendre, après coup, que mes mots n'ont pas choisi le bon moment pour sortir de ma bouche. Il est vrai que le langage sans filtre est une de nos nombreuses qualités. De cette façon, je pensais couper court à la conversation. Bien tenté, mais sans résultat ! Je constate que ma tentative est restée sans écoute.

Alors, de quel côté est le déficit au niveau du relationnel ? Est-il du côté de mon écoute ? Ou du côté des questionnements dits sociaux et imprégnés d'une lourde curiosité ? Qui est la plus en difficulté ? Celle qui socialise sans intérêt pour l'autre, ou celle qui préfère passer son chemin accompagnée par la seule intention de profiter de la nature ?

Mon chien est-il autiste ?

Tout au long de notre vie, nous devons sans cesse faire appel à notre capacité à nous adapter. Nous devons développer des forces pour paraître à l'aise, et, puiser en nous une énergie de dingue pour faire face à toutes situations qu'elles soient prévues ou imprévues. De nous-mêmes, nous socialisons au maximum de nos possibilités. Nos efforts sont souvent vains. Cependant, nous continuons. Nous savons que les représentations et les clichés sur l'autisme sont toujours présents dans beaucoup de domaines. Ils sont bien accrochés. Cela nous oblige à ne pas dévoiler notre autisme puisque nous savons que nous serons jugés. Dans ma situation, aurais-je dû dire à cette dame : "youyou m'dame, je suis autiste, et, là, maintenant, je n'ai pas envie de parler parce que vous n'étiez pas prévue dans mon organisation du jour".  La réponse à cette question est évidente. Si, en plus, j'avais avoué, à une inconnue, que je ne fonctionne pas comme elle, j'étais bonne pour une série de questions supplémentaires sur ma neuroatypie et mon air de ne pas l'être. Voilà un paradoxe de plus. Je dois socialiser, être en relation, interagir mais en cachant qui je suis.

Au bout d'un bon moment, et enfin sortie des griffes de la bienséance et de la courtoisie,  j'ai pu poursuivre  ma balade. J'étais très fatiguée et j'avais une belle envie de pleurer - Antisociale, tu perds ton sang-froid - Je me souviens que, tout en marchant, j'essayais de me raisonner et de me rassurer. "Tout cela n'est pas bien grave, une rencontre et une conversation anodine ne devraient pas te mettre dans un tel état, n'y pense plus ". C'est ainsi que j'ai continué ma route, en étant contrariée, avec mon émotionnel en vrac, ma sensibilité bien altérée, et mon chien tout heureux d'avoir croisé du monde. Diagnostic posé : Mon chien n'est pas autiste !

Le chemin des pleurs

Parfois, un chemin accueille nos larmes, nos peines et nos sensibilités à fleur de peau. Comme tout un chacun et toute une chacune,  je voudrais pouvoir éviter une rencontre ou un évènement qui va me déstabiliser. J' aimerais être mieux "armée" pour faire face aux difficultés que la vie m' impose. Ce n'est pas le cas. Mon émotionnel, ma sensibilité et mon système de pensées en arborescence prennent souvent le dessus. Rationaliser n'est pas mon point fort. Mais, ce n'est pas pour autant un point faible.

Les personnes autistes ont besoin de longs moments de tranquillité, de retour à soi, d'intériorité et de "temps de rien". Chacun d'entre nous trouve son lieu de bien-être, sa façon de se ressourcer, son rythme de croisière, son temps d'ermitautisme *(3). Pour ma part, j'ai besoin de longs moments de retrait du monde. Régulièrement, je me mets en off de toutes les sollicitations que nous subissons tous. C'est une nécessité et un besoin primordial et originel sans lesquels je ne peux pas résister aux tracasseries du monde. Chaque jour, je donne la preuve de mes efforts. Je dépasse mes difficultés en usant de capacités de sur-adaptation et de résilience. Ma quête d'absolu me pousse à me dépasser dans des situations contraignantes et épuisantes. Elle est, à mon sens, une grande qualité humaine et une spécificité des personnes autistes.

Changer les mots pour changer les intentions

Incapacités, déficits, difficultés, ces mots trop souvent utilisés pour qualifier l'autisme ont en commun une consonance négative et un sens peu approprié. Ils transpirent le manque et l'insuffisance. Transformons ce négativisme en positivisme. Parlons de nos qualités, de nos compétences, de nos possibilités, de nos savoir-faire et de nos savoir-être. Mettons de côté le mot socialisation dont le concept est omniprésent dans notre société et nos milieux éducatifs, pédagogiques et normatifs. Il crée des dégâts et génère beaucoup de souffrances depuis des décennies dans le secteur de l'autisme. Je n'émets pas de doute sur l'intérêt de la socialisation. Cependant,  je questionne les pratiques socialisantes utilisées auprès des personnes neuroatypiques.

Notons que les groupes d'habiletés sociales oeuvrent dans un sens positif. Ils ont une utilité réelle en terme de communications, d'interactions et d'apprentissages. Les personnes autistes ont beaucoup de potentiels, de capacités, de compétences, de ressources, de possibilités, de richesses intérieures et d'humanisme. Alors, ne serait il pas préférable de nous apprendre à les utiliser à bon escient au lieu de nous obliger à nous socialiser en toutes circonstances ? Par exemple, il devrait nous être enseigné dès l'enfance comment passer notre route avec un grand sourire et comment "passer entre les gouttes". *(4) 

 Il devrait nous être appris tout petit que nous avons le droit de dire Non et que nous pouvons refuser une situation qui ne nous convient pas. L'autisme est aussi çà : une forme de naïveté, un désir de bien faire, une gentillesse à toute épreuve, un regard sur le monde teinté de confiance, une distanciation et en même temps un manque de discernement. Pour nous amener à mieux vivre en société, être plus à l'aise lors d'interactions sociales et développer  "le goût des autres", nous avons tous besoin de liberté et de la possibilité d'être en relation ou pas. Comme pour tout être humain, notre besoin fondamental de solitude et de retour à soi devrait être respecté partout et tout le temps. Car, nous avons le droit d'exister par nous-mêmes et de vivre en restant qui nous sommes.

Vouloir socialiser la différence ne rend ni autonome ni heureux. Alors, tous ensemble, continuons d'informer, d'agir et de faire respecter les droits fondamentaux des personnes autistes.

 

*(1) Socialisation : Apprentissage par lequel l'individu apprend progressivement à adopter un comportement conforme à la vie sociale, la cohésion sociale et l'ordre social. Processus par lequel l'enfant va apprendre à s'adapter et à s'intégrer à son environnement et à la vie en société.

*(2) Sociabilisation : Apprentissage de la vie en groupe, des relations sociales, de l'amabilité, de la civilité, et du savoir- vivre en société.

*(3) Lire : Nous ne sommes pas des anges !

*(4) "Laissez-les dans les cartons les plans d'la planète, faites-les sans moi, n'oubliez pas les fleurs, quand ces rétroviseurs là m'passent par la tête, j'ai du feu sur le gaz et j'm'attends ailleurs, je fais que passer ma route, pas vu celle tracée, passer entre les gouttes, évadée belle, Parole après parole, note après note, elle voulait tout savoir sur ma vie..." - Passer ma route de Maxime Le Forestier.

 

 

Passer ma route...

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